Et voici la troisième partie.
Ce 7 juin, nous nous remettons en quête de la piste qui doit nous conduire au parc de Dajti. Nous arrêtons un fourgon mercedes : en nous aidant de la carte, nous demandons notre route au chauffeur qui met à contribution les personnes qu’il transporte : les avis sont partagés. Nous trouvons un départ de piste derrière la mosquée, qui semble être la bonne. Ca grimpe dur jusqu’ à un village et une bifurcation que nous empruntons après interview d’un villageois. Le GPS indique le parc à proximité. Nous nous fourvoyons encore, demandons de nouveau notre chemin, et pour finir, tombons sur la route goudronnée qui monte de Tirana vers le parc. Va pour la route ! Belle d’ailleurs, qui monte en lacets dans la forêt, offrant parfois un large panorama sur la capitale.
A une barrière, nous réglons le prix d’entrée au parc et poursuivons jusqu’à une nouvelle barrière, militaire cette fois, on ne passe pas. Demi-tour
( on est maintenant habitués) , embranchement, et nous arrivons sur une grande esplanade où aboutit le téléphérique qui déverse le dimanche, les promeneurs venus de Tirana. Aujourd’hui, pas un chat… mais des molosses de 100 kilos, heureusement enfermés dans leurs cages, qui nous font frémir par leurs aboiements !
La vue est superbe sur la capitale et ses environs. Le parc, quant à lui, nous semble bien impénétrable, sauf aux randonneurs avertis.
Nous reprenons la route en direction d’un restaurant que nous avons repéré à la montée : un agneau entier tournait sur une broche sous un appentis au bord de la route. Salade, tomates, frites, fromage et donc de succulents morceaux d’agneau. Nous avons de la peine à finir les plats telement copieux. Le tout arrosé d’une bonne bière albanaise Korça. Pour finir, un plein compotier de délicieuses cerises à peine cueillies. L’addition est légère, légère …

Il faut maintenant traverser Tirana pour prendre la route du nord. Charles adopte un comportement albanais sous la direction de son GPS et zigzague dans la banlieue sans presque hésiter. A ma grande surprise, nous rejoignons tout de même la 4 voies à la sortie de la ville.
Nous nous séparons à l’embranchement qui mène à Krujë que nous allons visiter tandis que Maïté et Charles roulent vers Shengjin où nous nous retrouverons.
Krujë est une petite ville accrochée à la falaise et dominée par son ancienne forteresse. Pour la première fois, nous devons payer le parking, à un tarif prohibitif ! Nous gagnons le bazar constitué d’une unique rue pavée bordée de jolies échoppes en bois qui ont fait l’objet d’une restauration soignée. L’ensemble est un peu artificiel d’autant que les boutiques de ce bazar sont destinées aux seuls touristes.

La production d’articles artisanaux et touristiques est très limitée : drapeaux et tee-shirts frappés de l’aigle albanais, bonnets de laine au crochet, coiffes de feutre, reproduction de casemates à la fonction de cendrier, nappes brodées … L’intérêt du bazar réside dans les objets et costumes anciens que l’ont peut y rencontrer. Nous visitons plusieurs boutiques : les commerçants ne sont pas avares de commentaires et nous font gentiment découvrir leurs trésors. Nous nous amusons beaucoup chez un brocanteur qui vend un tas de choses en rapport avec l’ancien régime et nous finissons, après une longue négociation, par lui acheter une casquette militaire rehaussée d’une étoile rouge qui fera la joie d’un de nos amis que nous soupçonnons d’avoir autrefois fait partie des amitiés franco-albanaises.
Dans l’enceinte de la forteresse, nous visitons le musée ethnographique, installé dans une vieille et magnifique maison ottomane. Nous nous faisons une bonne idée sur le mode de vie d’une famille aisée (très) aux XVIII° et XIX° siècles. Au rez-de-chaussée ont étés regroupés les témoignages de la vie paysanne et artisanale de l’époque. A l’étage, le salon des hommes richement décoré rivalise avec celui des femmes, plus intime, tourné vers les activités du foyer.
La cuisine, imposante occupe une position centrale et les murs blancs du hammam sont doucement éclairés par de délicates ouvertures dans la coupole. La visite, pour nous, se fait en espagnol et c’est très agréable pour moi, d’entendre Nicole et le jeune guide bavarder en castillan.
De Krujë, nous gagnons Shëngjin, petit port et station balnéaire aux immeubles colorés qui profite d’une longue plage de sable fin.
Nous y retrouvons Charles et Maïté pour un dernier bivouac en bord de mer et une dernière baignade avant les alpes albanaises.
L’autoroute nous conduit à Skodër, grosse ville du nord de l’Albanie. Nous ne faisons qu’un arrêt rapide pour changer de l’argent dans une banque et nous nous dégageons sans trop de mal d’une circulation délicate. La quatre voies ne va pas au-delà de Skodër et nous roulons jusqu’à Koplik sur une route en construction, dans la poussière des camions. Nous empruntons inutilement un bout de piste puis retombons sur la route qui s’enfonce dans la vallée en direction du parc national de Teth. Passés les deux premiers villages, la route se heurte au majestueux cirque montagneux et devient une piste caillouteuse et sinueuse qui part à l’assaut d’un col à 1750m d’altitude.

Les sommets, autour de nous culminent à 2600m, rochers impressionnants et inaccessibles. La forêt de hêtres recouvre les pentes aux deux tiers. Sur ce versant, les rivières sont totalement à sec. Les virages serrés se succèdent et se signalent plusieurs fois par de petits monuments funéraires : les conducteurs albanais payent un lourd tribu à un réseau de pistes dangereuses, nous le constaterons tout au long du voyage.
Nos pick-up grimpent vaillamment malgré le poids des cellules.
Passé le col, la piste devient encore plus étroite et franchement aérienne.
Elle cherche longuement son chemin en altitude au dessus du précipice découvrant au loin, tout en bas, la vallée de Teth. Aucun d’entre nous ne livre sa sourde inquiétude : pourvu que personne n’arrive dans l’autre sens ! En fait, sur tout le parcours, nous ne croiserons aucun véhicule. Nous plongeons enfin vers la vallée, mais la descente est longue et nous roulons à très petite vitesse.
Au fur et à mesure de notre progression, l’eau se fait plus abondante en de petits torrents qui dévalent les pentes.
Un magnifique chalet de bois en construction signale l’arrivée dans la vallée. Le trajet nous a pris environ trois heures. Nous sommes étonnés du nombre de maisons, regroupées en plusieurs hameaux, entourés de petites parcelles cultivées. Les palissades sont de bois courbés et entrelacés. Les tuiles de bardeaux argentées des bâtisses les plus anciennes jouent avec les derniers rayons du soleil. Les plus récentes sont couvertes d’un bac acier au rouge généreux.

Plusieurs d’entre elles se signalent comme « guest-house » indiquant le nombre de lits disponibles, de douches et toilettes, ainsi que la possibilité de se restaurer. Nous franchissons un petit gué et nous éloignons des habitations à la recherche d’un bivouac tranquille, mais la vallée se resserre le long d’un torrent aux eaux turquoises furieuses. Nous sommes contraints au « kampig », vague emplacement sur le terrain d’une vague « guest-house » au-delà d’un très étroit pont de bois.

Il nous en coutera 500 leks par équipage, mais la douche et les toilettes sont correctes, nous rassure la copilote allemande d’un Bremach qui occupe déjà les lieux. Des motards tchèques campent un peu plus loin. Comme bien souvent, c’est un gamin de douze ans qui nous accueille et nous sert d’interprète : son anglais scolaire n’excède pas le mien, scolaire aussi, mais plus ancien.
Nous découvrons les environs immédiats, dont un très joli moulin a eau en activité. Les nuages se sont peu à peu installés, la pluie n’est pas loin, l’air devient plus frais. Nous nous installons néanmoins à l’extérieur pour diner. La fatigue de la journée nous tombe dessus, et comme souvent, nous nous couchons de bonne heure. La pluie tambourine sur le toit de nos cellules, sans troubler nos rêves.
Je n’ai même pas entendu partir le bremach des allemands. Comme il nous l’on dit la veille, sans doute sont ils partis sur la piste sud qui mène elle aussi à Skodër, moins aérienne, mais beaucoup plus longue que celle que nous avons prise à l’aller.

Avec Nicole, nous rejoignons Charles et Maïté qui ont été plus matinaux et découvrent déjà la vallée. Une école massive dresse sa façade lie-de-vin à quelques pas du lit élargi du torrent. Une violente crue en a, sans doute récemment, emporté les berges, roulant de gros cailloux aux portes des maisons, emportant le petit canal d’un deuxième moulin, recouvrant la piste. Mais déjà, les habitants ont replantés de jeunes arbres pour stabiliser la berge. Une auberge jouxte l’école, plus avenante que les « guest-house ».Une jeune femme rinçe son linge à la rivière et le met à sécher sur une haie. Elle nous salue gentiment pendant que sa fille s’amuse de Betty, la petite chienne qui plait tant aux albanais. Une vielle dame vêtue de noir, fichu blanc sur la tête, ne lève même pas le nez à notre passage, penchée sur son carré de pommes de terre. Nous déclinons l’invitation – intéressée sans doute- d’un jeune homme à visiter la maison – traditionnelle – de sa famille. La belle église au toit de bois se révèle très récente, sans doute bâtie sur l’emplacement d’un vieil édifice détruit sous le régime communiste.
Un peu à l’écart du village se dresse une tour fermée bien conservée : s’y réfugiaient autrefois les membres de la famille poursuivis par la « vendetta », vivant au deuxième étage après avoir retiré les échelles qui leur permettaient d’y accéder. A travers d’étroites meurtrières, ils pouvaient surveiller les alentours et tirer sur les éventuels assaillants.

Le jeune propriétaire vit à coté de la tour, avec sa femme et ses trois filles. Il tient également commerce de limonade. Nous buvons un café épais et avons droit à un véritable récital de … feuille ! Nous avons tous, enfant, sifflé une note ou deux à l’aide d’une simple feuille de roseau prise entre nos deux pouces joints. Là, tenant une feuille ronde tendue horizontalement entre ses lèvres, ce sont de véritables morceaux de musique albanaise qui nous furent offerts avec le café.
Nous rencontrons sur le chemin du retour, un jeune et bel albanais qui nous salue dans un français parfait. Il se dit homme d’affaires, vit en France, voyage dans le monde entier et accompagne à Teth une ONG qui distribue des ruches aux agriculteurs, à la condition que ceux-ci, le temps venu, donnent à d’autres les nouveaux essaims. Il est très optimiste sur l’avenir de l’Albanie et fait sans doute partie de ceux qui bénéficient à plein du boom économique.
De retour au « kampig » nous expliquons au tenancier que nous souhaitons faire honneur à sa table et que nous aimerions manger des truites. Il n’en a pas, mais passe un coup de fil et nous indique qu’a 20mn de piste, près de la centrale électrique, un garçon nous attendra pour nous conduire au restaurant où l’on nous en servira ! OK, puisque c’est la piste, vers le sud, que nous comptons prendre. Nous réglons le « kampig » et nous levons le camp, direction, le resto.
Nous cahotons sur la piste défoncée qui longe le torrent, frôle une cascade et s’enfonce dans le canyon.
Au détour d’un virage, sortant du bois, un groupe d’hommes – brigands albanais, mafieux internationaux, détrousseurs de bourses ou trousseurs de jolies touristes ? – huit hommes presque endimanchés, nous font signe de stopper et nous barrent la route !
Nous déduisons de leur gesticulation que le véhicule qui les transporte est arrêté après le virage, l’une des passagères, enceinte, a été prise d’un malaise. Elle s’en va manifestement vers l’hôpital de Skodër pour accoucher et une ambulance doit venir la chercher : à Teth ? au col ? plus loin ? Nous n’en saurons pas plus.
En attendant, il faut reculer pour se croiser quand ils pourront repartir. Je recule et trouve un emplacement qui devrait convenir, la roue au bord du ravin. Charles recule plus longuement, d’autant qu’au moment où il trouve lui aussi un emplacement, un second fourgon, à la descente celui-ci, le double et le force à reculer de nouveau pour se mettre à sa place : allez discuter avec un conducteur albanais ! Finalement, Charles se case à nouveau, très juste, grimpé en travers sur le talus. Quand enfin la parturiente a repris ses esprits, ça passe, très juste, mais ça passe. Nos truites auront attendu 30 minutes supplémentaires, et la faim nous tenaille.
Un garçon se tient au bord e la piste, près de la petite centrale électrique. Il n’est pas là pour nous attendre, mais nous indique le chemin du resto. Evidemment, nous nous égarons rapidemment et, mort de faim, décidons de pique-niquer sur place. Le garçon nous rejoint : oui, oui, c’est bien lui qui nous attendait ! Le restaurant n’est pas loin. En fait de restaurant, nous arrivons dans sa famille, probablement parente du propriétaire du « kampig ». Nous sommes attendus dans une jolie petite maison, modeste et bien tenue.

Nous passons à table dans une salle au mobilier très simple dans un décor kitch de tapisserie religieuse et de broderie patriotique, pour un excellent repas, bien que la truite ne soit pas très grosse.
Toute une famille vit là dans ce hameau isolé. Les enfants sont en vacances et Christian mobilise tout son anglais pour s’occuper de nous. Pendant l’année scolaire, les plus grands sont pensionnaires à Skodër. Le potager et les quelques cultures doivent assurer une quasi autarcie avec quelques poules , une ou deux vaches et un petit troupeau de chèvres et de moutons. Les touristes de passage sont sans doute une aubaine, bien que l’addition soit encore une fois très raisonnable. Nous quittons Ndërlysë.
La piste occupe de nouveau toute notre attention et nous longeons un moment le torrent avant de nous élever dans un splendide paysage découvrant à chaque virage des versants boisés, une ferme isolée entourée de trois champs pentus, la gorge rétrécie de la rivière, une légère passerelle de bois, une chapelle entourée des importants bâtiments d’une congrégation religieuse, un moulin, des ruches colorées en bord de pistes, un village qui dispose de 75 mètres de route goudronnée, un petit gué …

Aucune difficulté de franchissement, mais la piste est souvent cassante et met nos engins à rude épreuve. Nous ne rencontrons pas de difficulté de navigation.
L’après midi tire à sa fin et nous décidons de nous arrêter en contrebas d’un col alors que les nuages que nous avions laissés derrière nous s’agglutinent autour des sommets. Il pleuvra encore cette nuit. Un bel espace herbu accueille notre bivouac devant un ancien restaurant ( ?) abandonné qui semble promettre des sushis !

L’eau coule librement dans le bâtiment vidé de toutes ses installations et privé de ses robinets.
Faute de sushis, Maïté et Nicole nous préparent un diner bien mérité, pendant que Charles se fait un copain parmi les chevaux qui paissent tranquillement près de nous.
Pour ceux qui veulent voir toutes les photos :
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