Francis sera parti à mi récit ! C'est vrai que je ne suis pas très rapide. C'est vrai aussi que je n'ai pas que ça à faire. Enfin, j'espère avoir terminé avant de repartir, dans les Alpes, le 23 juillet.
Bon, épisode suivant :
Nous sommes le 12 juin. Malheureusement, le temps reste maussade ce matin et les sommets restent habillés de nuages. Nous repartons en direction de Bajram Curri. Au sortir de la vallée de Valbonë nous rencontrons les allemands déjà croisés à Teth et leur véhicule Bremach, maintenant rejoint pas un confrère, encore plus gros.
A Bajram Curri, nous faisons des courses au marché qui se tient le long d’une belle avenue qui grimpe vers le centre dans l’odeur entêtante des tilleuls.. Des pick-up passent en klaxonnant chargés de jeunes hommes et de tambours, les premiers tapant avec entrain sur les seconds. Les drapeaux albanais flottent au vent. Accompagnent ils le mariage qui remonte aussi la rue, puis la redescend, dans un cortège de Mercedes décorées, jetant des cigarettes par les fenêtres ? Rien en tout cas ne trouble les joueurs de dominos, autour d’une table sur le trottoir.
Plus loin, une jeune fille nous interpelle d’un « Bonjour, vous êtes français ? ». Elle a appris l’anglais et le français à l’école, l’italien à la télévision, et se débrouille en allemand !
Nous prenons vers l’est une petite route qui sort de Bajram Curri, contournant les vaches couchées tranquillement au beau milieu de la chaussée. La rivière franchie, nous piquons au sud, abandonnant la route qui mène au Kosovo à une vingtaine de kilomètres. La piste s’élève rapidement vers le col de Luzhës. Malgré les lourds nuages qui défilent dans le ciel, la vue d’étend au loin sur de très nombreux villages de part et d’autre de la frontière. Le col redescendu, nous nous arrêtons après un village pour déjeuner. La pluie nous surprend pendant le repas et nous oblige à nous réfugier dans notre cellule, à quatre d’abord, puis à cinq, car un solide gaillard de vingt ans, trempé par la pluie violente, abandonne son motoculteur et s’installe sans façon, et sans autorisation, avec nous. Amusés, nous partageons un café et quelques biscuits en attendant une accalmie.
La piste, parfois la route en construction,

parfois la route déjà bitumée se promène dans la montagne, contournant de loin l’immense lac de Fierzë que l’on aperçoit en une ou deux occasions.

A Krumë, triste bourgade sous la bruine, nous faisons le plein de gazole. Sous le grand pont moderne qui permet d’arriver à Kukës un immense filet de pêche est suspendu. Autour de la ville de nombreux viaducs dressent leurs hauts piliers sur lesquels s’appuie l’autoroute en construction qui doit relier Tirana à Pristina la capitale kosovarde.
Nous cherchons un bon moment avant de trouver le « furre bukë » où nous achetons du pain. Puis nous allons boire une bonne bière à la terrasse d’un café. Sur le trottoir d’en face, un fauteuil de barbier signale la boutique du coiffeur « berber » au pied de l’immeuble voisin.

Nous sommes revenus en terre musulmane, comme en témoigne les mosquées qui dominent les villages sur la route, puis la piste, en direction de Peshkopi.
Et c’est le seul moment du voyage où nous ne nous sentirons pas les bienvenus. Dans un village où je me trompe manifestement de route, on nous laisse nous fourvoyer en rigolant et quelques centaines de mètres plus loin, un jeune homme répond à mon bonjour par un majeur dressé vers le ciel.
Plus loin, alors que nous roulons doucement à la recherche d’un point de bivouac pas évident dans la montagne, un groupe de pré-ados tentent d’arraisonner Charles et me barrent carrément le passage pour nous demander des euros. Notre refus nous vaut quelques cailloux et des noms d’oiseaux. Il y a des claques qui se perdent ! Dommage, car il y avait à cet endroit un bivouac idéal.
Nous trouvons enfin à nous poser devant l’école de Skavicë. Le couple de paysan qui désherbe le champ de maïs voisin n’y voit pas d’inconvénient. Son travail terminé, l’homme viendra nous faire la conversation, insistant sur la difficulté à vivre au bord d’une mauvaise piste, inconvénient que ne compense pas la l’extraordinaire beauté de l’environnement. Une source d’eau limpide qui coule à côté de l’école nous permet de faire le plein de nos réservoirs. Des gamins s’approcherons timidement de nous, un jeune sur son mulet nous observera longtemps.
Nous reprenons notre chemin le lendemain matin, qui va rejoindre bientôt la vallée du Drin noir. Un étonnant cimetière musulman attire notre attention par ses stèles particulières comme surmontées d’une coiffe. Avant de plonger dans la vallée, le panorama est exceptionnel sur les massifs imposants de tous côtés. En contrebas, le lit de la rivière, et la rivière elle-même, est d’une couleur sombre, chargée d’argile gris.

Là encore, la route est attendue et sur les bords de la piste déjà élargie, de courageux maçons dressent des kilomètres de murs de soutènement.

Certains, à peine terminés sont déjà fissurés sous la poussée constante des éboulements. Témoignage des travaux de l’ancienne piste, un bulldozer attend depuis plusieurs décennies une impossible réparation. Un âne disparaît sous une charge de foin considérable, un torrent fait grincer la roue en bois d’un moulin, les coquelicots envahissent les blés murs…

A quelque distance de Peshkopi, les ouvriers s’affèrent à goudronner la route que nous inaugurerons sur cinq ou six cent mètres.
Nous nous garons à l’entrée de la petite ville, tout proche de la Macédoine. Les échoppes se sont étalées sur les trottoirs et proposent leur quincaille, la farine et le ciment, la chaux, les fruits et légumes, les téléphones et les cd. Une grande avenue ombragée, interdite à la circulation, semble être la promenade favorite des habitants qui y déambulent nombreux et tranquilles, saluant au passage la statue de Skanderberg ou le siège du Parti Démokratic.

Chez le boucher « mish » nous achetons de belles côtes d’agneau et deux magnifiques rognons de veau en prévision du repas du soir. Pour l’heure – 13 h – nous nous mettons à la recherche d’un « Byrekstore » histoire de gouter à ce célèbre plat local. Mais la plupart des byrekstores n’en proposent pas et il nous faut chercher longtemps pour en trouver un, qui lui, ne propose rien d’autre. Nous ne garderons pas un souvenir impérissable de ces premiers byreks, pâte feuilletée fourrée (plus ou moins) d’oignons, d’épinards, de fromage ou de viande.
Mais nous voilà calés pour un moment. Et puis, le moment est sympa : Betty obtient son petit succès auprès des filles de la propriétaire, Maïté et Nicole sont l’objet d’embrassades émues ! A peine sommes nous sortis que nous sommes invités à boire le café par un homme qui nous avait croisé dans la matinée à bord d’un pick-up d’une ONG. Nous n’arriverons pas à savoir s’il travaille réellement pour l’ONG en question ou s’il a simplement acheté la voiture d’occasion.
Et nous revoilà sur la route, goudronnée mais tortueuse, sans indication de direction, hésitant à deux pas de la frontière, puis franchissant la rivière et nous engageant sur la piste en direction de Librazhd, malgré les hochements de têtes de ceux qui attendent le minibus et ne comprennent pas que nous passions par là. Très vite, nous ne comprenons pas très bien non plus ce que nous y faisons : la piste devient très mauvaise, étroite, cassante, frôle la Macédoine, monte et descend, s’aventure au plus près de la rivière, s’enfonce dans des futaies épaisses, contournent des casemates …

Nous roulons deux heures, une vingtaine de kilomètres et atteignons un col qui ouvre sur un immense plateau herbeux, barré au loin par les sommets macédoniens. Un berger abandonne son troupeau de vaches pour nous indiquer le meilleur endroit pour bivouaquer. Nous buvons une bière en sa compagnie et dès qu’il a tourné le dos, nous redescendons en contrebas du col pour nous mettre à l’abri du vent.
Pour les côtes d’agneau au feu de bois, c’est plus facile ! Il nous faut une bonne heure pour obtenir la braise nécessaire, après quoi, nous nous régalons.

Dans le soir qui descend, nous entendons plusieurs fortes explosions. Les hypothèses vont bon train, mais nous en arrivons à penser qu’on fait sauter des casemates, ce qui nous sera confirmé par la suite. Le fer est arrivé à un prix tel qu’il est rentable de le récupérer dans le béton des petits bunkers.
Deux camions de bucherons, chargés de bois de chauffage, descendent le col en faisant ronfler leur moteur, après une longue journée de labeur. Chauffeurs et passagers nous saluent gaiement.